Le réveil avait été dur: se lever à 6h30 tous les jours de la semaine n'était pas chose facile, même pour une jeune fille issue d'une dictature. C'est que Young Mi avait prit l'habitude en Corée du Sud de se lever un peu plus tard, même si ses études ne lui permettaient pas de faire de grasses matinées. Toutefois, elle était disciplinée -enfin dans la mesure du possible, la volonté d'être libre refaisant parfois brutalement surface- et une fois que ses yeux étaient ouverts, il était aisé pour elle de se lever. Suivant la cadence imposée par le ranch, la grande brune s'assit sur le coté de son lit, se frotta les yeux puis, ayant jaugé l'espace qui lui servait de chambre -il fallait avouer que pour elle, c'était spacieux et agréable- se leva. Ensuite, elle s'habilla avec les vêtements qu'elle avait sélectionnés la veille et qui l'attendaient sagement sur son bureau. Si cela n'avait tenu qu'à elle, Young Mi serait aller prendre sa douche afin de mieux se réveiller et d'être plus active par la suite, mais étant pudique, elle préférait aller se doucher le soir aux alentours de 18h, les lieux étant presque vides et donc plus propices à l'intimité que réclamait la jeune femme. C'est pour cette raison qu'avant de s'être complètement habillée, elle s'était débarbouillée le visage ainsi que les aisselles avec des lingettes achetées dans un petit commerce de Fox Lake. Bien sûr, la coréenne avait connu pire question hygiène. Par la suite, elle se brossa les cheveux puis descendit enfin à la cantine afin de prendre son petit-déjeuner. Ayant connu la disette dans son pays natal, il était agréable voire même salutaire pour elle de bien manger depuis quelques années: c'est pour cette raison que lorsqu'elle entendait certaines personnes se plaindre de la qualité de la nourriture, cela l'énervait au plus au point et la mettait hors d'elle, il fallait même qu'elle se retienne pour ne pas se lever et gifler ces personnes sans jugement. Sa conduite était très importante et si elle ne voulait pas laver le sol avec une brosse à dent ou même être renvoyée, elle avait intérêt à se retenir.
Après s'être sustentée, Young Mi vida son plateau à l'endroit prévu à cet effet puis entreprit de partir, quand quelqu'un lui adressa soudain la parole: « Mademoiselle Kim, attendez ! » La concernée se retourna et vit un des surveillants posté droit devant elle, celui-ci continua avant qu'elle n'ait eu le temps d'ajouter quoique ce soit: « Comme vous le savez, un des murs de la cantine a été tagué à l'extérieur... vous avez été choisie pour le repeindre. » « Vraiment ? Mais je n'ai pas d'expérience dans ce domaine. » « Ne vous inquiétez pas, un homme de la ville va venir vous aider, vous allez devoir travailler ensemble. » « Un homme de la ville ? Vous voulez dire que vous allez le payer ? » « Euh oui, s'il travaille, c'est normal après tout... En tout cas, vous devez le rejoindre devant le mur en question, cet homme, Isaac je crois, doit déjà être en train d'attendre avec le matériel. » Et avant que Young Mi ait pu riposter, le surveillant s'en alla, la laissant seule avec ses pensées. Franchement, elle n'aimait pas cette idée. Qu'elle doive repeindre le mur, elle le comprenait, que quelqu'un l'aide aussi, mais pourquoi un homme de l'extérieur alors qu'il y avait un homme d'entretien au ranch ? Peut-être était-il malade ou en congé, dans ce cas engager quelqu'un d'autre serait justifié, mais même, la coréenne n'aimait pas cela. Ça la gênait. C'était peut-être égoïste ou injuste de sa part, mais devoir travailler avec cet inconnu ne la branchait pas du tout, surtout qu'il serait payé alors qu'elle, non. Il y a dix ans, Young Mi n'aurait jamais eu ce genre de raisonnement, mais là c'était différent: elle vivait aux Etats-Unis, elle était libre et ayant fait des études d'économie, il était normal qu'elle ait une vision capitaliste des choses. Toutefois, elle se rendait parfois compte de ses pensées abusives et de ses conclusions trop hâtives. Ce qui ne l'empêchait pas de recommencer, après tout, on ne changeait pas sa nature.

Finalement, la jeune femme sortit de la cantine et rejoignit l'endroit qu'on lui avait indiqué. Le tag était des plus banals: moche et illisible. Honnêtement, elle ne comprenait pas pourquoi le ranch était visé comme cela, n'avait-elle pas droit à sa seconde chance ? Le mur était vide. Enfin, il n'y avait personne devant le mur. Donc, en plus d'être un arriviste, cet homme était un retardataire ? Incroyable! Attendant patiemment en prenant appui sur le mur, elle croisa les bras et attendit cet Izak.

Dotée d'un caractère des plus repoussants, Young Mi faisait fuir et fuyait les contacts humains. La plupart du temps, les personnes du ranch étant tellement.. ennuyantes, inintéressantes, agaçantes, exaspérantes. Sur ce point, on pouvait la comprendre, non ? Bien sûr, il y avait quelques exceptions mais malheureusement elles restaient rares. Et franchement, ce n'était pas elle qui allait aborder les autres pour savoir si oui ou non ils valaient la peine que l'on s'intéresse à eux, le fait étant qu'elle était plutôt du genre à attendre que l'on vienne à elle, plutôt que de venir aux autres. D'un coté, on pouvait comprendre pourquoi elle réagissait de cette manière vu son passé, de l'autre, on pouvait se dire que ce n'était pas en agissant de la sorte qu'elle allait se faire des amis et ainsi voir le temps passer un peu plus vite dans ce ranch. Cependant, si la jeune fille pouvait parfois se montrer agressive, elle marquait un bon point sur autre chose: la patience. Elle aurait pu rester une heure à attendre l'homme qui devait la rejoindre, ça ne l'aurait pas gênée. Enfin, attendre en soit ne la dérangeait pas, c'était plutôt la personne qui l'énervait déjà. Allez savoir pourquoi mais sans même l'avoir vu, elle sentait que repeindre ce mur n'allait pas être une partie de plaisir. Toutefois, Young Mi n'eut pas à attendre bien longtemps puisqu'une dizaine de minutes après s'être adossée au mur, un homme fit son apparition devant elle. Elle entreprit alors de l'observer afin de s'en faire une idée; c'était aussi un des points forts de la jeune fille: elle était observatrice et cela pouvait être une grande qualité. Malheureusement, elle n'en usait pas toujours puisqu'elle démarrait souvent au quart de tour sans prendre la peine de réfléchir, et s'en voulait énormément pour cela par la suite. Voici donc ce qu'elle nota sur l'ouvrier: grand -peut-être un mètre soixante-quinze ou quatre-vingt tout au plus- costaud, brun, rasé de frais, yeux verts... il était plutôt beau en fait. Mais la jeune femme avait apprit à ne jamais se fier aux apparences, et de plus, passer du temps avec un bel homme ne l'intéressait pas. Tout ce qu'elle voulait c'était repeindre ce mur puis repartir. Et puis, il était peut-être charmeur, mais il n'en était pas moins malpoli: d'accord il avait dit le mot magique « bonjour » mais il avait omis de se présenter. L'homme lui tendit une brosse que Young Mi ignora puis répliqua après qu'il ait sous-entendu qu'elle avait une tête d'attardée. « Que les choses soient claires, ce n'est pas parce que je suis asiatique que je suis stupide. » cracha-t-elle en prenant la brosse en main énergiquement. Si elle avait prononcé cette phrase rien qu'un an auparavant, elle l'aurait certainement regretté du fait que son accent n'était pas des plus cohérent. Seulement maintenant, les choses étaient différentes: la coréenne avait étudié l'anglais à l'université et ce plus ardemment que les autres puisqu'elle devait combler son retard. Désormais, elle vivaient aux Etats-Unis et même si la parlotte n'était pas son fort, pratiquer la langue dans un pays anglophone lui avait permit de nettement progresser. « Je m'appelle Young Mi, et vous ? Je précise que ce n'est pas que cela m'intéresse, mais j'aimerais savoir à qui j'ai affaire. » En vérité, elle connait déjà le nom de cet homme puisque le surveillant le lui avait rapidement dit tout à l'heure à la cantine: c'était Izak ou un truc du genre. Mais de toute façon, elle n'était même pas sûre que ça soit bien ça et elle ignorait s'il s'agissait de son nom de famille ou de son prénom. Elle jaugea le grand brun du regard et attendit sa réponse qui ne se fit pas tarder.

Si le jeune homme avait un instant espéré une matinée de travail en silence histoire d'en terminer au plus vite, ou même qu'elle finisse par le laisser en plan face à sa courtoisie habituelle, il n'en fut malheureusement rien. Le seul point positif qu'il pouvait retirer de ce premier échange : il n'aurait pas à perdre 3 heures de son temps à lui expliquer comment faire disparaître cet immonde gribouillage digne d'un enfant de 5 ans. Enfin, il restait néanmoins assez sceptique, et attendait de la voir à l'oeuvre. Ce n'était pas non plus une peinture maison faite à la va-vite qu'il attendait d'elle, non pas qu'il était doté d'une conscience professionnelle sur-développée l'obligeant à effectuer un travail sans fautes, mais dans son cas il valait mieux ne pas décevoir un client régulier qui était même son principal à vrai dire. Même si d'un autre côté, il se doutait bien que son travail serait prochainement réduit à néant par un nouveau tag, mais à vrai dire le plus tôt serait le mieux, ça le réjouissait plus qu'autre chose puisque c'était synonyme de plus de zéros sur son compte en banque. Quoiqu'il en soit, les points négatifs d'un autre côté étaient beaucoup plus nombreux, ce qui annonçait une matinée des plus longues. Elle parlait sa langue, première chose, et en plus elle semblait doté d'un aussi fort caractère que le sien. Et dans le cas présent, il aurait même employé le terme de 'sale caractère'. C'est vrai qu'Isaac avait toujours eu tendance à davantage estimer les personnes qui ouvraient leurs bouches pour dire ce qu'ils pensaient plutôt que de suivre comme des moutons, mais aujourd'hui sa première impression était plutôt antipathique la concernant, bien que d'autre coté il adorait pouvoir se montrer aussi désagréable avec elle, c'était toujours ça de pris. Et il n'allait pas avoir de scrupules de ce côté-là, ce n'est pas comme s'il était son baby-sitter non plus, il n'avait pas à réfréner ses crises d'humeurs comme chaque membre de ce personnel semblait devoir le faire. Déjà qu'ils la lui avaient imposé, c'était bien assez, il n'allait pas en plus jouer aux bienfaiteurs. « Ah oui, et pour quelle raison tu l'es alors, stupide ? » la reprit-il avec un sourire en coin. Oui, une nouvelle façon plus moderne de dire 'enchanté de te rencontrer', beaucoup plus chaleureuse néanmoins, n'est-il pas ? Enfin, il n'était pas certain que la jeune femme apprécierait son sens de humour. En même temps, elle l'avait cherché, du moins il tentait de s'en persuader. Cependant, le fait qu'elle lui arrache sèchement la brosse des mains l'instant qui suivit, consolida l'idée que leurs rapports n'auraient rien de très tendres durant les prochaines heures, raison de plus pour ne pas réfréner ses réflexions, ce n'est pas comme si elle lui semblait des plus fragiles, il lui en faudrait sûrement bien plus pour la blesser. Remarque, il pourrait bien justement tester ses limites, lui qui semblait d'humeur si taquine aujourd'hui. « Donc en l'occurence si, ça vous intéresse. Et ne vous inquiétez pas, aux dernières nouvelles un dictionnaire ne mord pas. » Lui, l'allergique à tout ce qui avait une couverture et plus de deux pages, conseillait d'en lire un avec des centaines de pages à son actif ? C'était bien une première, mais au moins cette Young machin ne le connaissait pas encore assez pour le savoir. « Et je suis Isaac, ravi de faire votre charmante connaissance, ironisa t-il, maintenant si on pouvait en finir au plus vite. » dit-il en lui tendant un bleu de travail à enfiler comme une salopette, bien qu'il avait envisagé un instant de la priver de cette protection vestimentaire dans son humeur sadique. Comme quoi, ses principes de grand gentleman finiraient par le perdre.

Au début, elle n'aurait jamais cru que l'homme se tenant en face d'elle lui tiendrait tête. Enfin, ce n'est pas qu'elle était entourée de poules mouillées mais bien souvent les gens, voyant qu'elle n'était pas accueillante avec les autres, préféraient aller à la facilité et simplement acquiescer, s'excuser ou même répondre une boutade. Cependant, la partie ici s'annonçait différemment et Young Mi ne saurait dire si cela lui plaisait ou non. Bien sûr, si elle se montrait désagréable voire blessante il était sûr qu'il allait faire de même et que cela allait énerver la coréenne, mais un peu d'action ne lui ferait pas de mal, d'autant plus qu'elle commençait à s'ennuyer ces derniers temps. « C'est que vous jouez sur les mots, en plus de ça. » Alors non, elle n'était pas stupide et ce, pour aucunes raisons: que ce soit sa nationalité, son caractère ou son physique. C'était sûr, elle n'allait pas se laisser faire comme ça. Bon, elle n'allait pas l'insulter quand même mais, un reproche dans une langue étrangère au jeune homme pourrait très bien sortir des lèvres de la grande brune, histoire de l'embêter. Elle jeta un œil à son interlocuteur qui semblait s'amuser à ce petit jeu, enfin, peut-être pas pour longtemps. « Un dictionnaire ? Non, sans blague, et c'est un ouvrier qui me dit ça ? » pesta-t-elle en croisant les bras, tenant fermement la brosse qu'elle avait en main afin de calmer son énervement. Non mais vraiment, pour qui se prenait-il ? Évidemment, il était possible que cet homme joue les peintres en bâtiment pour arrondir ses fins de mois, tout en ayant un autre travail ailleurs, nécessitant plus de qualifications. Il était même possible qu'il possède un doctorat en sciences, mais bon soyons honnêtes, il n'avait pas la tête à être fort dans les études. Non pas que Young Mi jugeait sur les apparences, puisqu'elle avait appris qu'elles étaient trompeuses, mais pour elle, le grand type devant elle était juste un con, et cela se voyait à sa façon de se tenir, et aussi à sa manière de parler. Isaac -car c'était bien comme cela qu'il s'appelait, le surveillant ne s'était donc pas trompé- prit un ton des plus énervants et tendit une salopette à la coréenne, qui la jugea du regard avant de la prendre, un peu plus doucement cette fois-ci. « Merci. » Euh non, rembobinez donc ce passage de faiblesse s'il vous plait, afin que personne ne se méprenne. Young Mi était une méchante fille, voilà c'était tout. Disons plutôt que c'était ce qu'elle essayait de faire transparaitre, mais la vérité était au contraire; en fait c'était juste un genre qu'elle se donnait pour qu'on la laisse tranquille. Car les personnes gentilles ou sympa étaient tellement... faciles à manipuler. Et elle en avait assez de l'être, toute sa vie n'avait été qu'une misérable manipulation car elle avait été trop douce, trop docile et trop gentille. Elle regarda Isaac un instant avant de rompre le contact visuel afin d'enfiler ce bleu de travail: au moins elle ne tacherait pas les habits qu'elle portait en ce moment même, car franchement elle n'avait pas une garde robe énorme et perdre, enfin, devoir jeter un t-shirt l'embêterait quand même. Une fois prête, elle entreprit de s'attacher les cheveux en un chignon brute, qui laissait ressortir des épis de cheveux avec l'élastique qu'elle avait à son poignet -habitude qu'elle avait depuis quelques temps étant donné qu'elle participait aux tâches du ranch qui étaient pour la plupart fatigantes et salissantes. Heureusement qu'elle avait mit ses baskets de travail ce matin, parce qu'elle aurait regretté d'en avoir mis des plus belles. « Bon alors, comment on procède ? » demanda-t-elle à son professeur, camarade ou peu importe comment elle devait le désigner. Young Mi reprit la brosse que lui avait donné Isaac plus tôt, qu'elle avait posé par terre lorsqu'elle avait enfilé la tenue bleue. Ensuite, elle posa sa main libre sur le bras qui tenait l'objet en attendant que l'homme en face d'elle daigne lui apprendre l'art de la peinture murale.

Le jeune homme planta de nouveau son regard dans le sien alors que la voix de cette dernière retentissait une nouvelle fois, attendant de savoir ce qu'elle pourrait bien trouver à lui redire pour se défendre, ou bien l'enfoncer. Il ne savait pas vraiment si elle prenait toutes ses remarques très au sérieux, mais lui se délectait en tout cas de cette situation, il avait trouvé en elle un parfait exutoire. Du moins c'est ce qu'il avait pensé dans un premier temps, mais finalement sa répartie ne semblait pas des plus tranchantes, ou cependant plus autant. Et il pensa aussitôt 'qui ne dit mots consent', peut-être qu'elle l'était vraiment au final, stupide. Heureusement qu'il réfrénait encore ses pensées, sinon ça n'aurait probablement pas arrangé la situation. Et depuis quand il le voulait d'ailleurs ? Enfin, il savait bien qu'il n'avait pas à démoraliser cette jeune fille, ou tout du moins sans qu'elle l'ait provoqué auparavant. Et il n'attendait que ça à vrai dire, son humeur taquine le démangeait. « Mais quelle perspicacité, non franchement tu m'impressionnes, à presque se demander ce que tu peux bien faire là. Presque. » Allait-elle encore comprendre l'ironie de son propos ? Il n'avait quand même pas sous-estimé autant son sens de la répartie et de la compréhension ? Car tout ça n'était qu'un jeu pour lui à cet instant précis, et il espérait bien que la demoiselle finirait par s'y prendre, car c'était beaucoup moins amusant en solitaire. Et comme si elle avait lu dans ses pensées, elle revint aussitôt à la charge. Remarque qui provoqua d'ailleurs un sourire au coin des lèvres du jeune homme. Peut-être qu'il ne l'avait pas totalement surestimé finalement. « Et oui, d'un ouvrier à une délinquante qui plus est, une cause perdue je sais. » C'est vrai qu'on ne se faisait pas d'eux l'idée de deux grands littéraires au premier abord, et concernant le jeune homme c'était bien vrai. Un choix de vie en quelque sorte, et selon lui c'était tout ceux qui préféraient cacher leur nez dans un bouquin plutôt que de voir ce qu'il y avait sous leurs yeux qui avaient un véritable problème. La réaction de la jeune femme eut le don d'une nouvelle fois le faire sourire, elle lui adressait des ondes négatives si palpable. Il espérait au moins pouvoir retrouver sa brosse en un seul morceau, remarque il pourrait toujours voir avec ce cher Maelick pour se faire dédommager, et surtout le convaincre une bonne fois pour toute de le dispenser de cette compagnie juvénile. Et il conclua d'ailleurs que les réels rapports de force ne seraient pas pour aujourd'hui finalement, alors que celle-ci venait de prononcer un mot qui ne faisait pas partie de son vocabulaire. « Pardon ? » prétexta-t-il en plaçant sa main près de son oreille. Mais il savait qu'il y avait peu de chances qu'elle se laisse prendre au piège à une énième de ses chaleureuses réflexions, ou alors elle était vraiment stupide. Voilà pourquoi au final c'était peut-être tout à fait envisageable. Isaac l'a laissa ensuite enfiler cette fameuse salopette des plus avantageuses, il songeait d'ailleurs qu'il aurait pu lui ramener une couleur plus saillante. Orange par exemple, après tout elle devait en avoir l'habitude avec les uniformes carcérales. Lui de son côté, se chargea d'ouvrir le pot de peinture, mission uniquement réalisable par ses gros bras. C'est certain qu'avec la frêle force de la demoiselle, ils y seraient encore demain autrement. Job accomplit, il finit par se relever avec un sourire triomphant face à la remarque de la jeune femme. « Et bien et bien, le mieux c'est d'apprendre en regardant faire le pro. » dit-il en songeant qu'il faudrait qu'il pense à vérifier la taille de ses chevilles un de ces jours. « Mais si c'est pour passer ma matinée à rattraper ta maladresse, je préfèrerais que tu restes sagement assise et que tu laisses faire les adultes. » lui dit-il avec un aimable sourire comme s'il parlait à un enfant. Oui oui, apparemment à présent ils se tutoyaient, c'était la dernière nouveauté du jour. Sur ce, il inaugura le pot de peinture de sa brosse, et s'attaqua à ce tag indésirable.

La grande brune préféra ignorer la remarque de l'homme qui se tenait en face d'elle, tellement elle le trouvait pitoyable. Elle fit de même pour le pronom qu'il avait employé, étant donné qu'il avait décidé comme ça, sans lui demander, de la tutoyer, comme s'ils étaient amis ou des proches. Non mais quelle brute! Young Mi était du genre impulsive alors c'était déjà un effort surhumain pour elle de ne pas laver les dents de cet Izak avec la brosse qu'il lui avait donné un peu plus tôt. Ça aurait été bien marrant d'ailleurs, au moins elle aurait été quitte de devoir supporter le sourire en coin qui venait de se dessiner sur le visage de l'homme. Son comportement lui donnait déjà des frissons, et ce n'était pas un compliment, franchement. Si on lui avait dit ce matin à la cantine que ce peintre en bâtiment serait aussi insupportable, la jeune fille aurait tout bonnement refusé de travailler avec lui, même s'il avait fallu par la suite qu'elle lave les toilettes avec une brosse à dents, ou qu'elle cure les sabots des chevaux avec un cure-dents. Tout mais pas ça. A vrai dire, Isaac lui faisait penser à quelqu'un... à une personne qu'elle détestait plus que tout. Physiquement, on ne pouvait pas dire que la ressemblance était frappante, mais c'était leur comportement qui se rapprochaient, cette façon de prendre les gens de haut et de vouloir avoir raison. « Une cause perdue ? Qu'est-ce que vous en savez d'abord, vous êtes devin peut-être ? » ironisa-t-elle en levant les yeux aux ciels. On ne pouvait pas vraiment lui reprocher d'avoir penser ça d'elle, après tout elle était dans ce ranch, cet établissement réputé pour accueillir des jeunes en difficulté et leur donner une seconde chance alors si elle était là à travailler bénévolement avec lui, c'était forcément qu'elle était une de ces jeunes. Mais le mot « délinquante » ne lui plaisait pas du tout, même s'il était peut-être vrai qu'elle pouvait être cataloguée de « délinquante », elle ne supportait pas d'être comparée à des individus qui avaient fait bien pire qu'elle, comme le trafic de drogues par exemple. Il était aussi vrai qu'avoir incendié la maison de sa meilleure amie sous un simple coup de colère n'était pas un acte négligeable mais, elle aimait à se persuader qu'il y avait bien pire dans ce ranch. « Et puis je pense que vous êtes mal placé pour parler de cause perdue, vu votre statut ici. Oui, si vous n'étiez pas vous-même une 'cause perdue', alors que feriez-vous ici devant ce mur tagué, avec une « délinquante » comme vous le dîtes ? » lança-t-elle en caressant les poils de sa brosse. Elle espérait avoir touché un point sensible, même si son but n'était pas de le blesser absolument, mais au moins de le remettre à sa place. Elle voulait qu'il comprenne qu'elle n'était pas du genre à se laisser faire, et aussi que ce n'était pas parce qu'elle n'allait pas répondre à toutes ses remarques qu'elle ne pensait pas moins que c'était un con. Plus tard, Young Mi ignora aussi lorsque son « professeur » prit un malin plaisir à lui faire remarquer qu'elle avait dit le mot magique. Il avait d'ailleurs adopté un ton des plus théâtrales, énervants, exaspérants... bref, la coréenne ne pouvait pas le supporter et là c'était vraiment clair. En plus de ça, c'était qu'il se la jouait « pro » comme il venait lui-même de le prononcer. On ne pouvait pas lui reprocher non plus de vouloir détendre l'atmosphère en déconnant un peu, même si elle doutait en ce moment que c'était là son attention. « Si vous êtes aussi doué à la peinture qu'à vous faire détester par les autres alors, je demande à voir. » lança-t-elle en soutenant son regard. « Et puisque je suis là, autant que je vous aide non ? Je ne voudrais pas qu'on me reproche de ne pas l'avoir fait, surtout que je suis sûre que vous seriez capable d'aller vous en plaindre à l'administration. » conclu Young Mi alors que l'homme était déjà en train de repeindre le mur. S'il avait pu partir, elle l'aurait fait oui c'est sûr, mais comme elle venait de le dire, ça risquait de lui retomber dessus et elle ne doutait pas d'Isaac sur ce point-là, elle savait que vu son amour pour les jeunes de ce ranch, il n'hésiterait pas à l'enfoncer devant ses supérieurs.

Le jeune homme lui tournait le dos et tentait de mener son travail à bien, malgré que sa compagnie ne cessait de le distraire, lui un jeune homme aussi sérieux. Décidément ces jeunes du ranch avaient réellement une mauvaise influence. Heureusement pour lui, c'était un homme et il savait très bien faire deux choses en même temps, voilà pourquoi alors qu'il se hissait pour atteindre de son rouleau les hauteurs du mur, il prêta malgré tout une grande attention aux propos de cette jeune fille. Pas certain qu'elle en méritait autant pensa-t-il, néanmoins cela avait le don de le distraire et de l'amuser, il n'allait donc pas forcément s'en plaindre. Même si malgré tout, il comptait bien terminer ce job au plus vite, certes elle rendait plus intéressant son temps de travail, mais après ça il avait de bien meilleurs plans pour passer du bon temps. Cependant, l'instant qui suivit, il s'arrêta dans son geste face à la remarque de son apprentie provisoire pour se tourner vers elle et put ainsi apercevoir son regard au ciel. Il afficha alors à son tour un air des plus solennels. « Chère Yug... enfin peu importe, saches que c'est toi-même qui l'a sous-entendu quelques instants plus tôt, dois-je te rafraîchir la mémoire ? Parce que tu sais bien que je m'en ferais une joie. » acheva-t-il en affichant un sourire satisfait au coin des lèvres. Maintenant il pouvait se douter qu'elle se trouvait ici pour quelques problèmes psychiatriques, ou encore pour une sorte d'Alzheimer précoce. Ou pire : par sa simple bêtise. Et sur ce, il se remit au travail et donna quelques coups de rouleau supplémentaire avant d'éclater littéralement de rire face à la remarque suivante de la jeune femme. On ne soupçonnait pas forcément au départ, qu'une jeune fille qui semblait aussi associable aux premiers abords, pouvait avoir autant d'humour en elle. Enfin en faite non, c'est surtout lui qui en avait perçu là où il savait qu'il n'y en avait pas. « De toute évidence, c'est surtout toi qui a un problème avec notre activité matinale. N'oublies pas que je l'ai choisis, toi non. En tout cas c'est très touchant de ta part de te soucier de mon bien-être, vraiment, lui dit-il en se tournant vers elle tout en plaçant sa main sur son coeur et en simulant un air reconnaissant, mais tu devrais plutôt te soucier du tien apparemment, car je t'assure que le mien est au beau fixe. » S'en suivit alors un sourire aimable avant de se remettre au travail. Il se savait pas ce qu'avait la plupart à penser qu'il vivait son statut comme une contrainte, car de toute évidence c'était surtout eux à qui ça posait un problème. A vrai dire, c'était surtout lui qui compatissait pour ces derniers, eux qui semblaient si esclave des valeurs sociales qu'on semblait donner d'un travail. Lui ne cherchait pas à monter dans cette fictive échelle sociale, il se contentait parfaitement de ce qu'il avait, et n'avait ainsi rien pour être frustré. La jeune fille ne devait d'ailleurs toujours pas comprendre le pourquoi d'où elle se trouvait, parce qu'après tout c'est ce que tentait notamment de leur apprendre ce ranch : de vivre et s'épanouir de choses simples. Il avait toujours pensé que ce ranch avait des idées bien trop utopiques et idéalistes de tout façon. Par la suite, il ne prit pas la peine de se tourner pour lui répondre, histoire de ne pas perdre trop de temps non plus. « Ne t'inquiètes pas, je suis encore loin de menacer ta suprématie dans le genre. » Mais finalement il ne put s'empêcher de lui faire face à nouveau. « M'aider ou bien handicaper ? Parce que tu vois, la nuance est primordiale dans ce cas. » Puis, il poursuivit tout en se remettant au travail. « Oh et tu sais, si je voulais vraiment me plaindre à ton cher patron, j'aurais déjà de quoi faire avec ton évidente amabilité. » acheva-t-il avec un sourire, mais ça elle ne pouvait le voir. Difficile à le croire, mais il commençait à avoir un semblait d'estime à l'égard de son répondant. Elle avait au moins le don d'égayer sa matinée d'une certaine façon, que seul lui semblait apprécier pour le moment d'ailleurs.

L'ignorance était le meilleur des remèdes, n'est-ce pas ? En tout cas, c'était ce qu'il y avait de mieux pour éviter de se prendre la tête. On te cherche, alors très bien, fais comme si de rien n'était, continue ton chemin et tu peux même hocher la tête. Oui, ça pouvait le faire parfois. On ignore et on continue sur sa propre lancée. Sauf que là, ce n'était pas possible. Oh, Young Mi aimerait bien, elle aimerait tellement balancer la brosse qu'elle tenait en cet instant dans sa main, et partir. Insulter l'homme en face d'elle en coréen, pour ne pas qu'il comprenne. Sauf qu'il calerait sûrement que ce n'était pas une gentillesse qu'elle venait de lui dire, enfin s'il n'était pas aussi con qu'il en avait l'air. Elle partirait et retournerait dans sa chambre, prendrait son journal et écrirait dessus qu'elle venait de rencontrer un être totalement détestable. Non, peut-être devait-elle jouer l'ignorante jusqu'au bout et ne pas mentionner son existence dans ce cahier. Ça semblait mieux comme ça, parce que sinon ça serait accorder trop d'importance à ce stupide abruti et ça, ce n'était pas le mieux à faire. Mais voilà, la coréenne ne pouvait pas fuir comme ça; on le lui reprocherait. Elle voyait les enseignants, les parrains, les surveillants contre elle, à lui dire que ce n'est pas comme ça qu'elle ferait des progrès, que ce n'était pas en faisait sa rebelle qu'elle pourrait repartir en Corée. De toute façon, ce n'était pas son souhait le plus cher. En fait, ce ranch était sa maison. Si on lui disait demain qu'elle pouvait sortir, qu'elle était guérie, si on lui souhaitait bon vent, où ira-t-elle ? La vérité c'était qu'elle n'avait aucun ami à Fox Lake. Il y avait bien Jim, avec qui elle semblait se rapprocher, mais il vivait aussi au ranch et de toute manière, même s'il avait un appartement au village ou ailleurs, elle n'irait sûrement pas chez lui. Et puis, qui dit qu'il serait d'accord pour l'héberger, lui ? Et puis, hors de question que d'aller habiter chez un homme! Et puis... là n'était pas la question. Le but était de pourrir la vie de cet idiot. « Je l'ai sous-entendu, moi ? De toute manière, s'il y a un idiot ici pas capable de retenir un prénom, c'est bien vous. » répondit-elle. Elle avait horreur que l'on accroche son prénom. Mais non, il fallait qu'il y ait des abrutis dans son genre pour le faire. Young Mi. YOUNG MI, ce n'était pas si compliqué quand même! Elle pouvait accepter qu'on ne mette pas l'accent là où il fallait, après tout, tout le monde n'était pas censé savoir parler le coréen à la perfection, mais cet Izak machin n'avait même pas prit la peine d'essayer. En fait, il aurait très bien pu prononcer son prénom à la perfection, elle le détesterait toujours autant. Celui-ci ria d'une manière abjecte à la remarque suivante de la jeune femme, détestable. « Si vous le dîtes... en attendant je me demande ce que fait une personne aussi bien dans sa vie comme vous, dans un trou comme Fox Lake, à repeindre un mur salit par des délinquants, avec une délinquante comme moi. » lança-t-elle en faisant mine de se poser réellement la question. Car à la vérité, elle s'en fichait. Elle savait que c'était un raté, et il avait beau lui clamer le contraire de sa manière la plus détestable, elle ne le croyait pas. C'est sûr, on sait tous que les peintres en bâtiments sont aisés, et qu'ils s'éclatent en ne se salissant pas. Elle avait envie de lui dire, pour se moquer de lui et lui ouvrir les yeux, mais elle en avait déjà marre de lui alors elle préféra ignorer toutes ses remarques. Enfin, elle décida de lui répondre à sa dernière, car elle n'allait pas rester plantée là comme un mollusque a attendre que le temps passe. « Je vous signale juste que vous m'avez donné une brosse et une salopette, dit-elle en espérant qu'il se retourne, mais je suppose que vu votre niveau de stupidité, c'était en vain. » Cet homme n'avait peut-être pas compris en quoi cette 'opération' consistait. Il avait le droit de ne pas l'aimer, d'ailleurs c'était tout à fait réciproque, il avait le droit de ne pas aimer ce ranch, et ce village. Il pouvait même ne pas aimer sa profession, tant pis. Mais il pourrait faire un effort, et au moins essayer de lui apprendre, non ? En plus, ça intéressait Young Mi. Elle n'avait pas l'intention, ni l'espoir de se mettre un jour en couple alors si elle devait s'occuper des travaux, du bricolage et de la décoration de son futur hypothétique appartement, elle devait apprendre. « Et puis, on ne peut pas dire que votre amabilité soit supérieure à la mienne. » pour répondre à la remarque du jeune homme. « En revanche, moi je pourrais aller me plaindre et vous dénoncer. Dire que vous refusez de m'apprendre comment repeindre ce mur. » Après tout, c'est ce qu'elle aurait dû faire il y a déjà cinq minutes. Elle ne savait pas ce qui la retenait ici. Oui bon, elle voulait savoir comment bien peindre un mur, mais ça elle pourrait l'apprendre par la suite avec quelqu'un d'autre, ou même sur Internet, même si des cours sur ce genre de plateforme n'étaient pas les plus efficaces. Peut-être commençait-elle à .. ? A quoi ? Parce que franchement, à part détester cet Izak, elle ne faisait rien d'autres ici, et c'était bien dommage. « Écoutez, j'aurais vraiment aimé ne pas avoir à faire ça, avec vous surtout, mais le fait est que je suis là et je dois accomplir cette tâche. Maintenant, soit vous coopérez, soit je m'en vais sans prendre la peine de vous rendre votre matériel. » Ce n'était pas dans ses habitudes de parler autant, mais elle aimait avoir raison, ou au moins un semblant d'estime pour ceux qui se tenaient en face d'elle. Non pas que ce que pensait le peintre d'elle intéressait la coréenne, loin de là, mais puisqu'elle était là, autant faire ce qu'on lui avait demandé.

Spoiler:

Le jeune homme tournait toujours le dos à son apprentie de la matinée, qui le serait d'ailleurs probablement pour la première et la dernière fois. Non pas que ce mur serait l'ultime qu'il aurait à repeindre avec autant de délinquants qui traînaient aux alentours, ni qu'il n'aurait plus d'autres occasions à malheureusement devoir se coltiner d'autres de leurs pensionnaires. Cependant il pouvait facilement se douter que la prochaine fois qu'on dirait à Yug-machin-chose de donner un coup de main au peintre en bâtiment, elle refuserait catégoriquement. Ou tout du moins, trouverait une quelconque excuse pour ne pas avoir à s'y résoudre. Et il ne doutait certainement pas de ses aptitudes dans le genre. Enfin, tout ça à condition qu'elle ne soit pas une simple masochiste qui souhaiterait au contraire redemander sa dose de gentillesses. « Oui, toi. Tu vois quelqu'un d'autre dans les parages peut-être ? » Non pas qu'ils se trouvaient à des kilomètres de toute vie humaine, ils étaient au sein même du complexe du ranch pour tout dire, mais il n'y avait en tout cas personne d'autre à leurs côtés. A moins qu'elle ait un ami imaginaire, pertinente remarque à prendre en considération. Mais malgré cette bien palpitante idée, il devait plutôt se résigner au simple fait de son étroitesse d'esprit. « Et l'idée ne t'a pas traversé l'esprit que je n'y apportais tout simplement pas intérêt ? Bien que l'excuse de l'idiotie semble plus satisfaite pour ton ego, je veux bien le comprendre, soit milles excuses de contrarier ta fierté. » Isaac n'avait toujours pas bougé d'un pouce, ou tout du moins il ne s'était toujours pas retourné pour lui faire face, davantage concentré sur le travail qu'il avait à faire. D'ici peu de temps, les deux-tiers du mur, soit les hauteurs, serait entièrement immaculé. Et il y prêtait une grande attention, accordant de l'importance aux moindres détails, malgré sa conversation animée avec la jeune fille. Pourtant, empâté comme il l'était, il ne fallait certainement pas penser qu'il pourrait facilement prendre soin d'un rododindron, il prendrait plus ça comme une corvée qu'autre chose. Mais là c'était différent, c'était son travail, et il prenait le temps d'être minutieux afin d'en être satisfait, et surtout satisfaire ses clients, car c'était bien eux qui lui apportait un gros chèque à la fin. Le fait est qu'elle ne lui faisait pas prendre tant de retard que ça, voilà pourquoi il finit par de nouveau se tourner face à elle et s'arrêter dans son geste. Enfin, c'est surtout qu'il ne voulait pas la priver de son sourire satisfait, aussi bienveillant qu'il était. « Tu radotes jeune demoiselle, tu as donc si peu de réparti que tu es obligé de recycler les anciennes ? Surtout qu'au final, ça ne fait que prouver que c'est bien toi qui a un problème à te trouver ici. » acheva-t-il. Son envie n'était pas des plus flagrantes de se lancer dans un débat que l'étroitesse d'esprit de la jeune fille ne semblait pas pouvoir encore concevoir, vu la façon dont elle s'enfermait dans ses idées reçues. Et puis il n'avait rien d'un bon samaritain non plus, fallait-il encore le prouver ? C'était à ce ranch de se débrouiller pour lui éclaircir les préjugés dont elle semblait être doté. Autant dire une peine perdue. Puis, il retourna de nouveau à son travail alors même que la demoiselle échappa sa réplique suivante et espéra au contraire qu'il continue à lui faire face. Il finit par lui répondre, d'un ton détaché. « Et bien pourquoi donc tu continues de brasser de l'air ? T'as vraiment besoin que je te prenne par la main pour te mettre au boulot ? » Il jouait avec ses nerfs, c'était certain. Mais il fallait apparemment qu'il le lui fasse comprendre, car elle semblait se contenter de ses remarques pour ne rien faire depuis de longues minutes. On ne lui avait jamais appris l'ironie chez elle ? Enfin avec lui, elle aurait le droit à un cours accéléré. « Et en effet, elle n'y est pas supérieure, mais certainement pas inférieur en tout cas. » Autant dire qu'elle ne cessait de lui cracher son venin -car elle semblait bel et bien prendre cette histoire au sérieux-, mais malgré ses efforts rudimentaires, le sien ne semblait pas toujours atteindre la hauteur de celui d'un ornithorynque, c'était pour dire. A la remarque suivante cela dit, il révisa son jugement. Maligne la petite, elle n'était peut-être pas autant dénoué de scrupules qu'il le pensait. Cela méritait en tout cas qu'il lui fasse de nouveau face et prenne même le soin de se rapprocher d'elle, histoire d'avoir son entière considération. « Et à ton humble avis, dis moi, qui d'une délinquante détestable et d'un honorable ouvrier auraient-ils la plus grande facilité à croire ? T'as envie de faire le pari ? » Doté d'un nouvel intérêt, il se redressa. « Surtout si tu me subtilises la brosse et la salopette, voleuse qui plus est, ça ne va pas jouer en ta faveur. » Et ça n'allait certainement pas le ruiner, non l'idée que ces deux choses manquent à l'appel n'était pas non plus sa première inquiétude. Quoiqu'il en soit, il se demanda qui serait bien prêt à se mettre en concubinage avec elle, ni même ne serait-ce que supporter une conversation. Quoique, lui il y serait bien prêt. Pour la dernière option bien évidemment, car on ne le verrait plus jamais remettre un pied dans une église, c'était certain. Mais le fait est que, malgré cette animosité qu'ils semblaient se témoigner, il lui accorderait presque de l'estime. Du caractère, de la conviction dans ses -fausses- idées, elle avait de quoi lui tenir tête et c'est bien ce qu'il appréciait chez elle. Oui, il avait une bien étrange façon de procéder.

Spoiler:

Tout ceci commençait à bien faire, et Young Mi perdait patience. Plus le temps passait, et plus elle n'avait qu'une seule envie: assister à une inhumation dont le sujet serait cet Izaak. Non, elle ne souhaitait pas sa mort par pure méchanceté, elle en avait juste marre de devoir se coltiner cet énergumène impoli. Quoique, apporter des fleurs sur sa tombe ne serait pas une activité déplaisante, bien au contraire. Enfin, elle devait arrêter de penser à des choses pareilles, ce n'était pas correct... cependant, cet homme en face d'elle était sûrement en train de penser à la même chose, alors pourquoi s'en priver ?

« Malheureusement, non. Rien que vous et moi... quel cauchemar. » fit-elle en fronçant les sourcils.

Elle ne voyait toujours pas en quoi elle avait sous-entendu qu'elle était stupide, mais elle préférait passer outre cette remarque sans fondement. Elle aimait avoir raison, comme tout le monde bien sûr, mais elle avait comprit il y a un moment qu'avoir raison contre un abruti n'amenait à rien, et même si dans ce cas on pouvait ressentir de la satisfaction, elle était bien mince et inutile.

« C'est drôle, je suis aux États-Unis depuis bien moins longtemps que vous, et pourtant je fais moins de fautes que vous. L'anglais est votre langue maternelle n'est-ce pas ? »

La faute était inespérée, mais puisqu'elle était là, pas question de la laisser filer. Peut-être n'avait-il pas remarquer sa faute, dans ce cas c'était vraiment un idiot fini; ou alors il s'en était rendu compte mais avait préféré faire comme si rien de s'était produit, dans ce cas il avait été bien bête de croire qu'elle puisse faire comme lui, et ne pas le reprendre. Bref, là la satisfaction était supérieure à ce qu'elle aurait pu ressentir en répondant à ses remarques désobligeantes. Elle aimait remarquer les erreurs des gens, surtout quand il s'agissait d'une langue qu'elle venait à peine d'apprendre mais qu'elle maitrisait déjà mieux que les personnes ayant baigné dans le pays depuis toutes petites. C'était aussi marrant d'écouter les hommes politiques parler sur les plateaux de télévisions, car on pouvait être sûr qu'une erreur sortirait tôt ou tard de leur bouche; certains faisaient des lapsus, d'autres des erreurs d'accords sans importance, qui amusait pourtant la jeune femme. Depuis qu'elle avait quitté la Corée du Nord, elle s'était intéressé à tout ce qui n'existait pas là-bas: la politique par exemple. Elle avait connu la dictature, la vraie, alors quand elle entendait que des présidents tels que Sarkozy ou Obama étaient des dictateurs sans foi ni loi, de deux choses l'une: ça l'a faisait rire tout en l'énervant au plus haut point.

« Vous avez visé juste. En effet, me trouver ici avec vous, ça me pose problème. Mais ce n'était pas bien dur à deviner, j'imagine que même un enfant de six ans aurait comprit... peut-être plus vite que vous. »

Et qu'il ne lui fasse pas croire qu'il était enchanté d'être ici avec elle, parce que tout ce qu'il faisait et disait depuis tout à l'heure prouvait le contraire. Finalement, la surface du mur était déjà bien repeinte et Young Mi se demandait pourquoi il allait aussi vite. D'accord, il voulait sûrement s'éloigner d'elle le plus vite possible mais en tant qu'ouvrier, il était payé à l'heure alors plus il restait et plus il gagnerait; c'était un comportement des plus rationnels que cet Izaak ne semblait pas comprendre, voilà encore de quoi prouver son niveau d'idiotie.

« Me prendre par la main non, un minimum de respect oui. Oui, je ne suis pas une fille aimable, alors quoi ? Vous auriez préféré une gentille fi-fille obéissant à tous vos ordres -inexistants soit dit en passant- pour mieux vous sentir supérieur ? Je ne pense pas que la satisfaction aurait été grandiose, ou alors c'est que vous savez au fond de vous-même que vous ne valez pas grand chose. »

Peut-être que cette épreuve n'était pas si rude, en fait elle commençait à s'amuser, même si cet homme l'énervait, l'exaspérait même, il fallait bien avouer qu'il était intéressant.

« Honorable ouvrier ? Laissez-moi rire,[b] fit-elle en dessinant sur ses lèvres un sourire de moquerie, [b]je crois plutôt que le plus détestable d'entre nous ici, c'est vous. Vous croyez quoi ? J'ai ma place au ranch, mais plus pour longtemps: j'évolue. Ce dont vous ne semblez pas capable, au passage. »

Bon elle avait un peu parler sans réfléchir. Elle savait évidemment qu'elle partirait un jour de ce ranch, mais peut-être ne serait-ce pas aussi facile: elle en avait la volonté, mais elle avait surtout peur, peur du monde extérieur, peur de souffrir à nouveau... et peur de décevoir à nouveau. Et puis elle ne connaissait cet homme ni d'Eve ni d'Adam alors comment pouvait-elle le juger aussi facilement ? Son instinct lui disait qu'elle avait raison, mais cela n'était pas suffisant, et elle devait s'attendre à une réplique cinglante de sa part. Non pas qu'elle souffre de hexakosioihexekontahexaphobie, mais on avait tous une part de nous qui redoutait que le ciel ne lui tombe sur la tête.

L'ouvrier avait presque fini son travail, mais il restait beaucoup de peinture dans le pot. Cela pourrait lui servir dans un prochain travail, loin d'ici de préférence. Mais après une remarque très désagréable, Young Mi perdit ses moyens. Ça y était, elle avait atteint sa limite, elle ne pouvait plus le supporter. Prise d'un élan de colère, elle plongea vivement son gros pinceau dans le pot de peinture et jeta le liquide sur Izaak. Finalement, peut-être que ce pot ne pourrait plus lui être d'aucune utilité après ce matinée.

Spoiler:

Isaac persistait à fixer la jeune demoiselle des yeux, s'amusant d'avance de ce qu'elle pourrait bien trouver à lui répondre. Car toutes ses réponses ne pourraient que l'être, et cela même si elle demeurait simplement muette, car ce n'était qu'un jeu pour lui et il ne prenait par conséquent rien au sérieux. Et son entourage ferait mieux de l'imiter, car autrement on aurait bien vite fait de se vexer à ses côtés. Il ne savait pas vraiment si c'était le cas de son apprentie de la matinée, mais elle lui avait en tout cas permis de satisfaire son acrimonie chronique à ses côtés. Il en serait presque reconnaissant, mais s'en abstiendrait de le dévoiler si ce n'était pas réciproque. Et il avait effectivement tendance à penser que ce ne devait pas être le cas, elle qui semblait si sérieuse et autant sur la défensive. Il faut dire qu'il ne facilitait pas non plus un échange des plus chaleureux, mais après tout pour quelles raisons lui ferait-il un traitement de faveur ? Il se comportait ainsi avec la plupart, même s'il est vrai qu'il s'agissait généralement de connaissances sachant parfaitement qu'il ne fallait pas le prendre au sérieux. Ce que cette Young-saperlipopette semblait au contraire faire. Et il devrait presque s'en sentir flatté : lui, être pris au sérieux. Enfin, il se doutait bien que la méfiance dont semblait être constamment doté cette demoiselle y jouait pour beaucoup. Apercevant au passage son froncement de sourcils, lui afficha un visage faussement perplexe en guise de réponse. « A vrai dire, j'en connais beaucoup pour qui ça relèverait plutôt du fantasme. » En effet, il n'est pas sans dire que les jeunes femmes ont vraisemblablement tendance à être atteinte de concupiscence à sa vue, et il préfère en profiter que s'en plaindre. A noter que ses chevilles sont généralement atteintes de grosseur anormale par la même occasion, mais heureusement ses chaussures tiennent encore le coup. « Go deimhin, ar an nGaeilge a insint duit gach rud. » L'irlandais est une langue bien poétique, n'est ce pas ? Car c'était bien là les origines du jeune homme, et non les États-Unis. Cependant, il savait bien que ça ne changeait rien puisque dans son pays natal on parlait majoritairement l'anglais, l'irlandais ne représentant qu'un dialecte secondaire. D'ailleurs, de moins en moins on savait encore le parler, mais avec de tels parents il n'avait pu faire autrement que se coltiner des cours de cette langue à l'utilité bien moindre. Dès lors, il s'agissait là simplement d'en faire profiter la jeune demoiselle, et de lui donner -faussement- tort. Bien que de toute façon, elle allait probablement penser qu'il se moquait plutôt d'elle en inventant ce charabia de toute pièce. Peu importe, après tout ils n'étaient pas ici pour faire connaissance, et puis pour ainsi dire très peu savait quelles étaient ses véritables origines, et c'était mieux ainsi. Sans commentaire supplémentaire, il enchaina alors comme si de rien n'était. « C'est certain que tu dois t'y connaître en mentalité de moins de six ans, je veux bien te croire sur parole sans soucis. » lui adressa-t-il avec son sourire le plus courtois. « Et vas savoir pourquoi, je tombe toujours sur ceux en pleine crise de post-adolescence, au lieu de dociles apprentis-pantins. A croire que je m'ennuierais ferme autrement. » ajouta-t-il en retournant à son mur au deux-tiers immaculé, et en s'attaquant au dernier tiers qui ne l'était pas encore. « Mais je t'en prie, se serait bien la première fois que je te verrais quitter ton air renfrogné pour un sourire. » et il ne se retourna ensuite que brièvement pour constater si effectivement elle connaissait la définition du mot sourire. Allez savoir pourquoi, elle semblait tout de suite plus agréable même si elle souriait à ses dépends. « Et bien si c'est le sens que tu sembles accorder à évoluer, je parlerais plutôt de régression te concernant. » C'est alors qu'un liquide gluant et froid dégoulina brusquement sur sa nuque, et quelque chose lui disait que ce n'avait rien d'une maladresse. Un sourire figé aux lèvres, il se retourna lentement pour enfin croiser le regard de la responsable de cet acte archaïque. « Au cas où tu ne l'aurais pas entendu, je n'ai jamais remis en doute tes connaissances en mentalité de six ans, tu n'avais pas besoin de me le prouver. Mais merci pour la démonstration. » Sur ce, il se redressa, et durant un instant la demoiselle put se demander s'il allait répliquer. Mais il avait une tout autre idée en tête. Non pas qu'il comptait la dénoncer comme il l'en avait pourtant menacé quelques minutes plus tôt, même s'il est vrai qu'elle venait de prendre un risque sur ce point-là. Et c'est pourquoi, allez savoir pour quelles raisons, il appréciait définitivement son sens de l'initiative. Il se contenta dès lors de s'avancer jusqu'à elle, ou plutôt jusqu'au torchon qui trônait au milieu de son matériel. « Tiens, puisque tu tenais tant à te rendre utile, tu n'as qu'à te charger des derniers coups de rouleau. » lui adressa-t-il au passage avec un sourire au coin des lèvres. Inutile de le préciser, mais elle ferait mieux de s'en méfier.

Spoiler: